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Écritures de la révolution et de la guerre d’Espagne
(Exils et migrations ibériques au XXe et XXIe siècles, n°9-10)

guerre d'Espagne

Le titre est universitaire, voire pompeux1. Heureusement, la lecture nous emporte bien au-delà. Car si, théoriquement, le sujet traité est la mémoire de la révolution et de la guerre d’Espagne chez les descendants des républicains espagnols en France, comment ces descendants pourraient-ils écrire sur leurs parents en ayant assez de recul pour occulter leurs émotions ? Ils sont arrivés ou nés en France parce que leurs parents risquaient leur vie en Espagne. Mais en France, les parents et leurs enfants ont été accueillis comme aujourd’hui les « réfugiés » (c’est-à-dire des victimes des nouvelles armes nord-américaines et russes et des aléas de leurs politiques impérialistes).

Ceux qui témoignent sont souvent proches du terme de leur vie et n’hésitent pas à confier qu’ils sont fidèles au message de leurs parents. D’autres, reconnaissent avoir fui ce qu’ils voyaient comme une obsession familiale et n’avoir pris conscience de leurs problèmes qu’après la quarantaine. Ils ont pris la plume pour montrer comment ils vivent le fait froid, lourd, d’être en partie français (et forcément critiques de la xénophobie) et aussi espagnol (de ceux qui ont encore des proches dans des fosses communes, environ cent mille cadavres à identifier2.

Le poids des idées des parents demeurent chez certains, mais il est accompagné par leur propre réflexion.

« Ce combat pour la réhabilitation d’un homme n’est pas le dernier acte – même s’il est l’un des plus sombre [Víctor García Estanillo, guerillero communiste galicien assassiné en 1948 par des communistes venus de France, car il était jugé coupable de pluralisme politique] – du travail de mémoire auquel je me suis associée. » (Odette Martínez-Maler, page 167). « Pour moi, être anarchiste, c’est ne rien imposer, prendre le temps de discuter, d’écouter, de convaincre et de respecter les individus en refusant les petits-chefs, les leaders et les avantgardes autoproclamées qui ne visent que la prise du pouvoir. Hélas, parfois, les anarchistes reproduisent ou ont reproduit [ces comportements] dans leurs organisations, leurs groupes et leurs collectifs […] » (Daniel Pinós-Barrieras, p. 212). 

La plupart de ces descendants d’émigrés politiques espagnols ne sont pas enfermés dans une sorte de cocon hispanofrançais. 

« Et les valeurs de liberté, d’émancipation, d’égalité et de justice sociale défendues par nos parents en Espagne, puis dans tous les pays où les a menés l’exil, restent pour nous, en France, en Espagne et ailleurs, un objectifi moral et politique. » (Jean Vaz, p. 297). 

Sonia Marzo (et Rambach, par sa mère juive alsacienne) est très logique : « Je ne peux supporter la manipulation de l’information et l’instrumentalisation de la Shoha par le gouvernement d’extrême droite d’Israël. Dénoncer le sionisme d’aujourd’hui qui colonise, mène une politique raciste et de ghettoïsation du peuple palestinien et crée de l’antisémitismee est une lutte de tous les instants. […] Et l’Espagne n’en a pas fini avec les démons du franquisme, on attend encore le procès de Franco. […] Militer est une respiration face à la période terrible de régression et d’inhumanité que nous vivons. Pour cela, il n’est pas nécessaire de faire appel à un héritage, il suffit d’être humain. » (p. 176). 

Et, tout naturellement, témoignent aussi leur engagement pour l’Espagne, les documentaristes Frédéric Goldbronn, Eva Léger, Claire Hanen, fille de brigadiste internationale ; et Geneviève Dreyfus-Armand, qui a suscité et mis en forme cet ouvrage. 

Indubitablement, ce livre est à lire et à faire circuler.


Frank Mintz

1 Il s’agit d’un numéro spécial des revues Riveneuve Continents et Exils et migrations ibériques au XXe siècle, 2018-2019, 535 pages, 28 euros. Le livre est coordonné par Geneviève Dreyfus-Armand et Odette Martinez-Maler, qui ont publié l’excellent ouvrage Espagne, passion française. Guerres, exils, solidarités (avec Odette Martinez-Maler, Paris, les Arènes, 2015 [http://www.fondation-besnard.org/spip.php?article2550]).
2
Bien entendu, la loi de la monarchie parlementaire espagnole n’autorise pas l’identification des fusilleurs des personnes assassinées. C’est le pacte du silence accepté par le Parti communiste et le Parti ouvrier socialiste espagnol en échange de leur légalisation en 1977. Cependant, cette loi existe, alors que dans l’ex URSS, les familles des victimes de la répression marxiste-léniniste (en majorité des personnes proches de la « gauche ») en rêveraient en se demandant si elle apparaîtra un jour dans leur pays.