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Les recommandations réfractaires

H. le CorreHervé Le Corre
Dans l’ombre du brasier
Rivages/Noir, 2019

Prof de lettres dans la région bordelaise et jeune retraité, Le Corre s'impose comme l'un des grands du roman Noir. Il nous fait revivre les dix derniers jours de la Commune, du 18 au 28 mai 1871, le chaos des derniers jours, avec les communards : le sergent Breton Nicolas Bellec, Le Rouge, le grand rouquin et le très jeune Adrien combattant du 105e bataillon des fédérés, c'est le peuple en armes.

Dix mille communards mal organisés, mal commandés combattent soixante mille Versaillais et leurs centaines de canons, Versailles avance alors que la commune tergiverse, les Versaillais entrent dans Paris. Les communards ont du mal à s'organiser, les tendances se bouffent le nez, le gâchis domine.

À l'odyssée tragique des Communards, Le Corre mêle une enquête criminelle furtive. Antoine Roques, un ouvrier du Livre qui n'a pas oublié ses idéaux, est devenu policier de la Commune. Roques recherche un fiacre et Pujols qui enlève des jeunes filles pour les vendre à des proxénètes qui les vendent, eux, aux Prussiens et pour faire des photos pornos. Puis Caroline, l'amie de Nicolas, sera enlevée. Infirmière de la Commune, elle assistait le Dr Fontaine, c’est le sang, la poudre, les tripes, les cervelles. La mélancolie et le désenchantement.

Un monde nouveau s'ouvrait devant eux mais ils meurent sur les barricades à un contre dix, un contre vingt. Les Versaillais fusillent les morts et les blessés Le sang des communards rougit les caniveaux de Paris.

« La Commune, au moins, aura été une éclaircie dans la pénombre des jours…Elle aura montré au peuple… qu'il faut alimenter la flamme… un feu qu'il faut parfois porter dans le désert à des aveugles qui n'en veulent pas... ».

Buvons un Communard en l'honneur de la commune et de ses morts.

Tragique et Beau

Hervé Le Corre, L'Homme aux lèvres de saphir, Rivages/Noir

Un communard : vin rouge /cassis

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A. VolodineAntoine Volodine
Frères sorcières
Entrevoûtes
Collection Fiction & Cie
Le Seuil, 2019

Trois voix de femmes, trois parties, un cycle romanesque puissant : Eliane Schubert raconte la vie d'une troupe de comédiennes itinérantes, Dora, Lola, Maria, Yassiliya, Dream.... La compagnie de la Grande Nichée va de village en village perdus, la troupe joue des saynètes, des bribes d'agit prop. Théâtre, Les comédiens et comédiennes vont être enlevés par des bandits et les femmes vont devenir des esclaves sexuelles. Elles vont subir des horreurs, vont être violées et Eliane va rester la seule survivante.

La frontière entre la vie et la mort est toujours ténue chez Volodine. Le personnage principal est une survivante dans un monde après la mort, dans un décor post-apocalyptique d'une cité détruite par l'explosion d'une centrale nucléaire.

Dans la seconde partie ce sont dans un long poème des voix de femmes qui vocifèrent le Cantopera, ces vociférations des femmes sont au cœur (chœur) de Frères Sorcières : 343 vociférations, incantations ? qui entrent en résonances, à la recherche des voix originelle.

Un parti pris théâtral et chamanique : la Magie de la vie.

« Quel que soit le rêve oublie le !
Quelle que soit la langue ; ne parle pas !
Quelle que soit la route, fais demi-tour !
Quelle que soit ta mort, n'attente pas à ta mort ! »

« Dura nox sed nox » Dure nuit, mais la nuit. La dernière partie du livre est une longue phrase, la voix d'un sorcier, d'un chamane venu du fond des âges. Paysage crépusculaire, et accents chamaniques.

Antoine Volodine publie le quarante-troisième volume d'une œuvre qui en comptera quarante-neuf. Il est le créateur d'un genre littéraire « Le Post-exotisme en dix leçons » avec ses hétéronymes (Manuela Draeger, Elli Kronauer et Lutz Bassman) Un monde parallèle, un nouveau monde construit livre après livre. Une œuvre qui compte. 

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Le SeuilShlomo SAND
La Mort du Khazar rouge
traduit de l’hébreu par Michel Bilis
Le Seuil, 2019

Premier roman policier d'un historien israélien professeur émérite à l'université de Tel Aviv, connu pour son livre Comment le peuple juif fut inventé. Ouvrage paru en 2008, première édition en français chez Fayard en 2008, traduit de l’hébreu par Sivan CohenWiesenfeld, Levana Frenk et Michel Bilis, réédité chez Champs, Flammarion en 2018. Le corps d’un historien orientaliste, le professeur Litvak Yitzak, gisait dans son appartement, c'est le commissaire Emile Morkus, un policier arabe/israélien qui dirige l'enquête. Morkus est secondé par l'inspecteur Ohayon. Qui a tué le Professeur Litvack ?

Abraham, le frère jumeau de Litvak, schizophrène, est lui aussi retrouvé assassiné. Les policiers sont amenés à rencontrer l'assistante de Litvak, la jeune Gallia Shapira étudiante en master et une de ses rares proches.

L'historien avait publié un livre sur l'Empire Khazar du VIIIe siècle qui avait fait des remous. Les Khazars ont la peau blanche, les yeux bleus et la chevelure rougeâtre.

Pour Sand l'exil des Juifs n'a pas eu lieu, les juifs descendant des Hébreux anciens.

Le groupe de gauchistes de l’université « Le Flambeau » est surveillé par les agents du Shabak. Le cadavre d'Avivit l'une des membres du groupe est retrouvé sur la plage, étranglée, violée, sodomisée. Morkus est déchargé du dossier. Aboutboul arrêté passe aux aveux : prison à perpétuité. Les services secrets font tout pour enterrer l'affaire. Vingt ans plus tard un autre historien Yéhouda Guershoni est mort empoisonné. Il avait un projet de livre sur la judaïsation du Yémen. Morkus, lui, est à la retraite, lieutenant-colonel.

Est-ce un règlement de compte entre universitaires qui comme partout se détestent, mais en arrivent tout de même rarement au crime. Incapacité des services secrets ? L'enquête va découvrir qu'un des suspects roule dans une voiture du premier ministre. Depuis vingt ans un tueur impuni se promène dans Tel Aviv. Voyage à Paris de Gallia qui est agressée.

« Toute nation moderne s'invente un passé imaginaire ». S. Sand souhaite une république israélienne pas un État juif. Il met en scène les débats qui traversent la société israélienne « je ne vis pas dans une république israélienne, mais je vis dans un état juif… L'exil des juifs n'a pas eu lieu… » pour S. Sand les juifs n'ont jamais été chassés de Palestine il y a deux mille ans. Les Ashkénazes descendent en partie des Khazars convertis.

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J. PonthusJoseph Ponthus
À la ligne
Feuillets d'usine
La Table Ronde, 2019

Né en 1978, en Champagne, Ponthus a fait une prépa littéraire, puis est éducateur pendant dix ans. Il arrive en Bretagne par amour. C'est le Premier roman de Joseph Ponthus devenu ouvrier intérimaire dans les conserveries de poissons, de crevettes, de crabes, de bulots et les abattoirs bretons de Lorient.

Il raconte les gestes du travail, le bruit, la fatigue, la souffrance du corps. Il faut être flexible, jongler avec les horaires, exténué, vidé. L'usine lui dicte le rythme de son texte. C'est une sorte d'épopée, une odyssée où Ponthus lutte contre les bœufs et les bulots.

Pour tenir, lorsque la journée n'en finit pas il ils, elles chantent à tue-tête du Trenet, Brel, Barbara, Ferré, Apollinaire, Vian, Leprest, l'Internationale, des chansons à boire, des paillardes… La Semaine sanglante… Neuf heures de boulot de merde sur la ligne de production (la chaîne), on est tous dans la même merde, le corps morfle, s'il flanche on perd son boulot, c'est l'esclavage moderne, c'est la servitude volontaire. Après les poissons, ce sont les palettes de plats cuisinés, les poissons panés, les langoustines, les pinces de crabes…

C'est le capitalisme triomphant celui des patrons tout puissants, et des chefs en casques rouges.

Ponthus va ensuite travailler aux abattoirs de porcs, de bœufs, de vaches, à la découpe de porcs, les bêtes ont peur : elles sentent la mort, sentent la merde. Il rêve d'être en grève ce qui est quasi impossible pour les intérimaires, il rêve d'aller aux manifs de faire de la réappropriation ouvrière.

C'est la souffrance au travail, la répétition des douleurs ; un travail dur physiquement et moralement : accidents du travail, doigt coupé, mal au dos, aux bras, mal partout, un nerf qui se bloque. « Petit anarchiste de godille, je n'ai pas les couilles d'un lanceur d'alerte. Usine tu n'auras pas mon âme ».

Ponthus est chômeur aujourd'hui, ce qui lui permet d'assurer la promotion du livre. L'usine en est l'héroïne, un personnage qui impose son rythme à la forme du roman plus poétique que politique, en vers libre, sans ponctuation. C’est un cri de révolte, une ode, un chant à la gloire des ouvriers plein d'humour et tendresse, plein d'humour, un OVNI littéraire sur la condition ouvrière d'aujourd'hui, sensible, fraternel. Un long poème sur la pénibilité du travail, à lire à voix haute.

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ZonesMichel Pinçon & Monique Pinçon-Charlot
Le Président des ultra-riches
Zones, 2019

Macron est le président des 1% les plus riches. Le quinquennat a commencé par la suppression votée au début du mandat de L'ISF impôt sur la fortune. Les biens, meubles, voitures de luxe, chevaux, lingots d'or échappent aux impôts ce qui a provoqué l'effondrement des dons aux associations caritatives. L'Exit Tax est aussi supprimé. Pour les cent premiers contribuables français le gain moyen annuel est estimé par Bercy à 582 380 euros. La fortune de Bernard Arnault a augmenté de 56% entre 2017 et 2018. Il baisse les impôts des plus riches, il baisse les impôts sur les sociétés. Les crédits d'impôts CICE coutent 20 milliards chaque année Les dividendes aux actionnaires augmentent. Les cadeaux aux entreprises font-ils baisser pour autant le chômage : non.

Né à Amiens en 77 Macron étudie au lycée privé jésuites de la Providence, il fait Sciences-Po, puis l'ENA, échoue à Normale Sup, et choisit l'inspection des finances, épouse Brigitte son ancienne prof de français du privé, puis en 2007 il passe de la banque Rothschild à Bercy, puis au ministère de l'économie et des finances en 2014 appelé par Hollande et Valls. Macron a refusé de publier la liste de ses donateurs pendant la campagne présidentielle. Les chèques des gros donateurs représentent 45 % des fonds collectés par En Marche. Inconnu du grand public en 2015, créature médiatique, Macron a eu le soutien de très nombreux médias : BFM TV ; de nombreux patrons de presse, Le Monde, de Bergé/Niel, de Bernard Arnaud, Claude Perdriel ; Challenges, L'Express ; Le Point, Arnaud Lagardère, Paris Match, les Échos, Le Parisien, Dassault-Bouyghe, nombreux médias aux mains des milliardaires.

Il y a seulement 0 ,2% d'ouvriers à l'assemblée Nationale. Nous avons un gouvernement des riches avec Pénicaud... le gouvernement Macron s'attaque aux pauvres : baisse de l'APL, ponction de la CSG des retraités. Poursuite de la casse du code du travail bien entamée sous Hollande, fermeture de postes dans la fonction publique, le gouvernement de Macron a montré son vrai visage. Il n'a pas empêché la fermeture de Ford Blanquefort, ni celle d'Arjo Wiggins, en Sarthe, ni les licenciements massifs de l'ex Alstom/General Electric. La Macronie est aussi une imposture écologique (Départ de Hulot), les ralliés sont des verts qui vont à la soupe prendre aux pauvres pour donner aux riches.

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J.-L. TrassardJean-Loup Trassard
Verdure
Le Temps Qu'il Fait,

À quatre-vingt-six ans, Jean-Loup Trassard est le grand écrivain du monde rural de l'après-guerre. Il témoigne de la disparition d'un monde. C'était un pari de rassembler des textes parus sur quarante ans dans diverses publications, pari réussi et qui tombe au bon moment.

Dans l'après-guerre le remembrement a modifié totalement le paysage rural. Les ruisseaux ont été supprimés, déviés, plus de mares, d'abreuvoirs, de vairons et d'écrevisses. Les chemins creux nombreux dans le Bocage mayennais sont devenus rares. Le bocage a été saccagé. Dix mille arbres ont été abattus par commune remembrée. Pour augmenter les rendements il faut supprimer les haies qui font trop d'ombre. Les poiriers à cidre, les pommiers ont presque disparu. Pour augmenter les rendements il faut de plus grandes parcelles pour les engins agricoles, pour le machinisme.

Les haies (palisses en patois poitevin) protégeaient les cultures et les bêtes qui s'abritaient contre les talus. On y trouvait des mûres, des noisettes, des prunelles, des écureuils. Les petits bourdons y faisaient leurs nids. Les abeilles et les hirondelles sont en voie de disparition. Mais il fallait élargir les chemins pour les camions, pour les moissonneuses-batteuses. Pour augmenter les rendements les agriculteurs font un usage exagéré des engrais, les nitrates vont polluer les eaux de pluie, les rivières, et les côtes, puis ce sera l'arrivée des pesticides, herbicides qui empoisonnent les terres… Dans mes années 60, les bourgs se sont dépeuplés de leurs artisans ; forgerons, charrons, bourreliers. Les domestiques sous-payés ont disparu. La floraison des poiriers à cidres, des aubépines, les pommiers, des merisiers laisse les cultivateurs indifférents : « Le cultivateur est là pour asservir la Nature, non pour la respecter. »

La campagne a été massacrée pour rien. En Mayenne les fermes faisaient vingt hectares en moyenne. Les tracteurs ont remplacé les percheronnes. La campagne française est défigurée au profit d'une production intensive qui s'arroge le droit de polluer les sols et l'eau. En Mayenne, le bourrier ce sont les mauvaises herbes mais les plantes ont été nos premiers médicaments : le sénéçon, la fumeterre, le bouillon blanc, le plantain, la mercuriale, l'euphorbe, l'achillée, les liserons, la mauve, l'ortie, la chélidoine, la bardane, la digitale, l'iris jaune… « L'absence des oiseaux qu'ils n'ont jamais regardés… Les cultivateurs n'ont pas conscience de leurs crimes envers la nature ». Jean-Loup Trassard appelle à un procès en responsabilité collective, une action en justice pour massacre de l'environnement.et il m'écrit « ça ne fera pas changer les agriculteurs qui se croient tout permis parce qu'ils sont endettés ».

« J'aimerais avant de disparaître moi-même entendre encore l'alouette chanter au-dessus de ma tête… », écrit Jean-Loup Trassard.

Un livre que les ministres de l'Agriculture et de l'Environnement devraient offrir aux jeunes des lycées Agricoles et aux adhérents de la FNSEA.

Une sélection de livres de Jean-Loup Trassard, écrivain et photographe :
L'Ancolie
; La Déménagerie ; Dormance (Gallimard) ;
Inventaire des outils à main dans une ferme
(Le temps qu'il fait)


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A. DamasioAlain Damasio
Les Furtifs
La Volte, 2019

Damasio n'envahit pas les rayons des libraires, il a commencé les Furtifs il y a 15 ans ; c’est son troisième roman après La Zone du Dehors et La Horde1.

Tischka, la fille de Lorca et de Sarah, trois ans, a disparu de sa chambre. Ils la recherchent. Le père est sociologue des communes libres, Lorca devient chasseur de Furtifs pour l'armée, il est persuadé que sa fille est vivante et a été enlevée par les Furtifs. Les furtifs sont un mixte entre le végétal et le minéral.

Dans une dystopie, Damasio nous mène dans un futur proche, vingt à trente ans. En 2040, les villes sont privatisées, elles sont rachetées par des multinationales. Paris par LVMH, Cannes par la Warner, Lille par Auchan, Lyon par Nestlé, Orange par Orange, bien entendu. Alain Damasio s’oppose à une société qui nous suit, nous trace, nous surveille par des bracelets, des bagues connectées. Avec la bague privilège tu as accès à tout un futur ultra libéral privatisé, où tous nos gestes sont surveillés. Les citoyens portent une bague. La société est multi tracée, baguée, pucée, elle vous rappelle à l'ordre si vous enfreignez les règles.

Les furtifs, ce sont ceux qui refusent d'être tracés, de troquer leur liberté contre une commodité technique. L'éducation est devenue une multinationale, mais une proférante propose aux ados dans la rue, un cours : « comment vous rendre invisibles »

Un roman nourri de Deleuze, très présent, et de Foucault. Damasio a aussi lu Novarina, Artaud, Gherasim Luca… Les activistes militants alter, les hackers, les grapheurs, les squatteurs occupent l'île de Porquerolles pour une occupation autogestionnaire, Nantes est la première ville auto-gouvernée.

L'écriture de ce livre est particulièrement intéressante par sa typographie, par sa polyphonie, les néologismes, les mélanges de langues diverses, de mots inventés. Damasio s'est inspiré de la typopoésie des lettristes. On pense aussi aux Oulipiens. Une littérature aux mille et une couleurs.

Un très grand livre, inventif, expérimental, déconcertant, une œuvre créative sur l'enfance et la langue. 

James Tanneau

1 Repris l'un et l'autre en Folio SF