accueil fait divers

Menottes

Une histoire1 de Roger Noiseau

L’ambulance de l’Administration pénitentiaire fonce vers l’hôpital. À bord, une femme sur le point d’accoucher, trois surveillants – deux hommes et une femme – tous nerveux, à commencer par le conducteur.

La femme est prise en charge dès son arrivée. Elle est conduite dans la salle de travail suivie par les surveillants. Elle gémit. Elle se tord de douleur. Elle crie. L’infirmière la calme, elle lui caresse l’épaule et le visage. Les deux femmes paraissent oublier un instant la présence des surveillants. Puis, l’infirmière se retourne vers eux, embarrassés mais vigilants :

― Maintenant, je vous prie de sortir, Messieurs et Madame.

Les deux hommes s’exécutent.

― Attendez, dit la femme.

Elle sort des menottes, attache l’une d’elles au poignet de la parturiente, l’autre à la barre du lit.

― Mais vous n’y songez pas ? Vous n’avez pas le droit, s’indigne l’infirmière.

― Si, Madame, je dois respecter la loi. Maintenant, je sors.

Les trois surveillants restent dans le couloir à proximité de la chambre.

L’infirmière appelle à l’aide. Un médecin et une seconde infirmière arrivent promptement.

Furieux, le médecin sort aussitôt :

― Libérez cette femme tout de suite.

― Je n’en ferai rien, Monsieur. Cette détenue est particulièrement dangereuse. Je ne fais qu’appliquer la loi.

― Ici, la loi, c’est moi. Faites ce que je vous dis.

La directrice de l’hôpital est appelée. Des appels téléphoniques sont échangés. Finalement, la femme est libérée de ses entraves. Les surveillants de prison poursuivent leur garde dans le couloir, de chaque côté de la porte de la salle.

La directrice est particulièrement irritée :

― Le corps médical est très choqué… Des menottes, pourquoi faire ? On n’imagine pas une femme fuguer alors qu’elle est en train d’accoucher !

Deux heures plus tard, le cri d’un nouveau-né emplit l’espace. Les surveillants s’impatientent, ils attendent la relève.

C’est le premier bébé du 1er janvier. C’est une fille. Sa maman, femme sans compagnon, la nomme Dominique.

Dominique est le prénom du Garde des Sceaux d’alors. C’est un homme.

1 Note de l’auteur : Nouvelle extraite du recueil Les Misères de Gérard – Editions Glyphe, 2017. Le livre cultive l’humour en général, du moins je l’espère. Cette histoire, inspirée d’un fait divers, fait exception.