Henry POULAILLE – 2 |
Henry Poulaille, romancier prolétarienOuvrier venu aux lettres pour porter témoignage au nom de sa classe, Henry Poulaille s'affirme comme la figure la plus attachante, la plus représentative de la jeune littérature prolétarienne de ce temps. Du peuple et, dans son irréductible refus de parvenir, ne voulant rester que cela, Poulaille est né aux environs de 1900, au cœur du prolétariat parisien. C'est à Belleville, à Ménilmontant qu'il vécut son enfance dans les cités ouvrières où son père charpentier, où sa mère canneuse de chaises menaient une vie laborieuse et difficile. Après quelques années passées à l'école primaire, il dut gagner durement le pain de chaque jour. Il pratiqua tous les métiers des pauvres, ceux que la nécessité impose et qu'on ne choisit pas. Tour à tour, il sera vendeur de journaux, manœuvre d'usine, homme de peine dans les gares, commis de pharmacie... La vie et ses misères, c'est à même son labeur quotidien d'ouvrier qu'il l'apprit et non dans les livres en usant des fonds de culottes sur les bancs des lycées. Cet autodidacte, en dépit de cent métiers ingrats, des férocités des luttes journalières soutenues pour vivre, et faire vivre les siens, a su cependant se cultiver, lire et choisir, et mettre en place tout ce qu'il y avait de bon, de rare et d'authentique dans la production littéraire contemporaine.
C'est de 1919 que datent ses premiers écrits. Il débute à la Vache Enragée avec Frédéric Lefèvre et donne ça et là des contes qui sentent le faubourg, des poèmes d'un accent neuf. En 1925, il publie son premier roman, Ils étaient quatre, une histoire sobre et pathétique d'un tragique hallucinant, celle de l'agonie de quatre hommes perdus au fond d'une grotte. Le jeune écrivain subissait alors la profonde influence du grand romancier vaudois C.F. Ramuz dont il devait prendre d'ailleurs une année plus tard la défense passionnée dans les Cahiers de la quinzaine avec « Pour ou contre Ramuz ». Mais ce n'est vraiment qu'avec Âmes neuves, un recueil de nouvelles sur l'enfance ouvrière que Poulaille commence à édifier son œuvre de nette inspiration prolétarienne. L'Enfantement de la Paix (1926) précise la position de l'écrivain et lui donne d'emblée une place marquante parmi ceux de sa génération. Rien de plus fort, de plus objectif, n'a été écrit sur le drame des consciences, sur l'état de décomposition des caractères qui donnent aux années qui suivent l'odeur de pourriture, la marque grimaçante des temps maudits. Puis le cinéma, avec ses modes renouvelées d'expression de vie, attire Poulaille, il y recherche également une grande leçon d'authenticité, les possibilités infinies d'un grand art populaire. Citons ses études de cinégraphie Charles Chaplin, son essai de roman-film Le Train fou.
En 1931, Poulaille fait paraître Le Pain quotidien, un grand livre, qui n'est qu'un chapitre du vaste ensemble que l'auteur se propose de donner sur la vie ouvrière. Avec une sensibilité, une franchise de touches, une langue authentiquement peuple celle-là et non un ersatz, l'écrivain a consigné ses souvenirs d'enfant pauvre, les misères et les joies quotidiennes des ménages d'ouvriers d'avant-guerre. Ce livre, nu, sans intrigue, atteint, par le seul accent, la sincérité de la peinture de la vie intense du peuple des cités ouvrières, une grandeur rarement dépassée, qui place Henry Poulaille en tête de la littérature prolétarienne de ce temps. La fresque s'est poursuivie avec Les Damnés de la terre, sorte de chronique romancée de l'histoire ouvrière de 1906 à 1910. On retrouve avec plaisir dans Les Damnés de la terre, les personnages du Pain quotidien. L'œuvre est particulièrement émouvante. Il n'existe pas dans notre littérature de chapitres équivalents à ceux des Damnés : l'hôpital, l'annonce de la mort de Magneux à Loulou, la crâne attitude de l'orphelin devant sa famille, sa recherche d'affection auprès de son ami Laurent. Il y a là des pages qui atteignent l'humain avec une vérité, une émotion bouleversante. La vie ouvrière avec ses luttes et son grand rêve d'émancipation n'a jamais été peinte avec cette netteté, ce souffle. Poulaille vient d'apporter un nouveau chapitre à son monument littéraire, un monument qui est assuré de durer. Son Pain de soldat, qui vient de paraître chez Grasset prend d'emblée place aux côtés des œuvres les plus fameuses inspirées par la guerre. Chronique aussi que ce livre, mais une chronique romancée soulevée d'une haine solide contre la guerre, son crime, son imbécillité, une chronique où l'on voit enfin l'homme en guerre mis à nu avec toutes ses peurs, ses lâchetés, ses révoltes vite étouffées, son courage aussi qui n'est que son farouche désir de vivre. Pain de soldat dont la lecture non seulement plonge dans l'enfer de la guerre, mais aide à prendre conscience des forces de résistance populaires aux inhumaines tueries, vient à son heure en rappelant à ceux qui seraient tentés de l'oublier le charnier de la « dernière ». Poulaille, puissant romancier, est aussi un animateur de la littérature prolétarienne. Après avoir créé, avec Henry Jacques, une collection populaire, Le Roman, il sonna le rassemblement des écrivains prolétariens autour de sa revue Nouvel Âge, qui fit une trouée retentissante en 1930-32, mais ne put résister aux attaques venues de tous les points de l'horizon littéraire. Prolétariat, puis À contre courant ont essayé de poursuivre avec des moyens réduits l'action de Nouvel Âge. Ajoutons que notre camarade a créé, avec l'aide de quelques-uns d'entre nous et l'appui de l'Union des Syndicats Confédérés de la région parisienne, le « Musée du Soir », bibliothèque et centre culturel prolétarien qui fonctionne avec un vif succès au 15, rue de Médéah à Paris. Ainsi, sans séparer jamais son œuvre littéraire de son action militante, Henry Poulaille s'affirme comme le meilleur ouvrier des lettres prolétariennes chez nous. Léon GERBE (1937) Bibliographie succinte
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